L'héritage médical de la guerre
Marie Vanbremeersch et Laure Cadec
En débarquant en
1915 sur les côtes françaises du Pas-de-Calais, le soldat britannique Ernest
Cable ne se doutait pas qu'il allait participer au progrès de la médecine.
Vue de
l'hôpital général australien installé à Wimereux (vers 1918).
Pris de crampes
d'estomac violentes et de diarrhée sanglante, le soldat Cable est envoyé au
Grand Hôtel de Wimereux, transformé en hôpital pendant la guerre. Les médecins
lui diagnostiquent la dysenterie, une maladie infectieuse affectant le tube
digestif, dont il meurt quelque temps plus tard.
Un médecin de
l'hôpital, intéressé par ce cas, William Broughton-Alcock, se met alors à
travailler sur la maladie et réussit à isoler la bactérie responsable de la
dysenterie. Sa culture et son étude ont depuis permis d'obtenir énormément
d'informations sur cette maladie qui a fait de nombreuses victimes à l'époque.
Une équipe de
chercheurs travaille toujours aujourd'hui sur le séquençage du génome de la
bactérie du soldat Cable. Grâce aux méthodes actuelles, ils ont pu découvrir
pourquoi cette bactérie était si redoutable : elle était déjà résistante à
la pénicilline, avant même que l’usage de celle-ci en tant que médicament ne se
généralise. Pour la combattre, il aurait fallu détenir des antibiotiques plus
puissants, comme ceux qu'Alexander Flemming découvrit quelques années plus
tard. Cette anecdote n'est qu'une infime partie de l'héritage de la guerre en
médecine.
La tombe du soldat Cable.
En 1915, les médecins
s'étaient déjà familiarisés avec certaines notions microbiologiques, grâce aux
découvertes de Louis Pasteur notamment. Il était enfin reconnu que les
micro-organismes, et non les esprits frappeurs, étaient à l'origine des
maladies infectieuses. On commençait à mieux contrôler les infections, mais
aussi à avoir une vision plus moderne des divers traumatismes psychiatriques et
des techniques chirurgicales d'amputation.
Aujourd’hui, le
professeur Dennis Shanks, directeur de l’Institut militaire sur le paludisme de
Queensland (Australie), étudie les principales maladies de l'époque de la
Première Guerre Mondiale. Pour lui, c'est « une période clé dans la
transition vers la médecine scientifique ».
On compte ainsi
plusieurs cas de maladies dont l'étude et la compréhension ont été accélérées
et motivées par la guerre, dont le typhus. Au début du XXème siècle, près d'un
tiers des soldats britanniques en étaient infectés, mais les scientifiques
commençaient tout juste à chercher un vaccin. Lors de la Seconde Guerre des
Boers (Afrique du Sud, 1899 - 1902) il a été testé à grande échelle sur le
champ de bataille, avec succès. Le pourcentage de personnes infectées dans les
rangs britanniques chuta, mais leurs alliés français, qui avaient mis plus
longtemps à vacciner leurs troupes, subirent de grosses pertes.
Bien qu'elles aient
aidé au développement de certains traitements, les périodes de guerre n'ont pas
résolu tous les problèmes de santé publique. Elles en ont même empêché certains
remèdes, concernant des maladies toujours présentes aujourd'hui, comme par
exemple la malaria (paludisme). Cette maladie, transmise par une certaine
espèce de moustiques, ne sévit pas en Occident mais plutôt dans les pays
tropicaux. Le seul traitement relativement efficace était l'ingestion de
quinine, fruit d'un arbre qui poussait à grande échelle dans les colonies hollandaises
du sud de l'Asie. L'accès à ces colonies était très fortement réglementé et a
empêché l’approvisionnement en quinine. Les Allemands ont donc été forcés de
synthétiser un produit égalant les propriétés de la quinine, ce qui a pris du
temps. Le bilan est cependant positif car la synthèse de ce produit est un réel
progrès, qui aurait peut-être échoué sans la pénurie de quinine.
Enfin, le professeur
Shanks a découvert quelques épisodes plus sombres dans le traitement des maladies
pendant la guerre : un vaccin contre le tétanos testé sur seulement la
moitié d'un groupe de prisonniers de guerre qui s'est révélé efficace, ou
encore le traitement des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST). En effet,
le traitement préconisé pour ce type d'infections est le confinement, ce qui
a paralysé une bonne partie de l'armée américaine à une certaine période ;
ou des pratiques si épouvantables qu'une bonne partie des malades préférait
souffrir en silence plutôt que déclarer leur maladie (injections d'arsenic
et/ou de mercure pour la syphilis, irrigation de l'urètre au permanganate de
potassium pour la gonorrhée...)
Malgré tout, le
professeur Shanks conclut sur le respect qu'impose le travail réalisé par les
médecins de la Première Guerre Mondiale, dans un contexte difficile et avec peu
de ressources exceptée leur capacité à penser.
Sources :
http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2814%2961786-4/fulltext
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