jeudi 8 janvier 2015

L'héritage médical de la guerre



L'héritage médical de la guerre

Marie Vanbremeersch et Laure Cadec



En débarquant en 1915 sur les côtes françaises du Pas-de-Calais, le soldat britannique Ernest Cable ne se doutait pas qu'il allait participer au progrès de la médecine.

Vue de l'hôpital général australien installé à Wimereux (vers 1918).



Pris de crampes d'estomac violentes et de diarrhée sanglante, le soldat Cable est envoyé au Grand Hôtel de Wimereux, transformé en hôpital pendant la guerre. Les médecins lui diagnostiquent la dysenterie, une maladie infectieuse affectant le tube digestif, dont il meurt quelque temps plus tard.


Un médecin de l'hôpital, intéressé par ce cas, William Broughton-Alcock, se met alors à travailler sur la maladie et réussit à isoler la bactérie responsable de la dysenterie. Sa culture et son étude ont depuis permis d'obtenir énormément d'informations sur cette maladie qui a fait de nombreuses victimes à l'époque. 


Une équipe de chercheurs travaille toujours aujourd'hui sur le séquençage du génome de la bactérie du soldat Cable. Grâce aux méthodes actuelles, ils ont pu découvrir pourquoi cette bactérie était si redoutable : elle était déjà résistante à la pénicilline, avant même que l’usage de celle-ci en tant que médicament ne se généralise. Pour la combattre, il aurait fallu détenir des antibiotiques plus puissants, comme ceux qu'Alexander Flemming découvrit quelques années plus tard. Cette anecdote n'est qu'une infime partie de l'héritage de la guerre en médecine.

 La tombe du soldat Cable.


En 1915, les médecins s'étaient déjà familiarisés avec certaines notions microbiologiques, grâce aux découvertes de Louis Pasteur notamment. Il était enfin reconnu que les micro-organismes, et non les esprits frappeurs, étaient à l'origine des maladies infectieuses. On commençait à mieux contrôler les infections, mais aussi à avoir une vision plus moderne des divers traumatismes psychiatriques et des techniques chirurgicales d'amputation.


Aujourd’hui, le professeur Dennis Shanks, directeur de l’Institut militaire sur le paludisme de Queensland (Australie), étudie les principales maladies de l'époque de la Première Guerre Mondiale. Pour lui, c'est « une période clé dans la transition vers la médecine scientifique ».


On compte ainsi plusieurs cas de maladies dont l'étude et la compréhension ont été accélérées et motivées par la guerre, dont le typhus. Au début du XXème siècle, près d'un tiers des soldats britanniques en étaient infectés, mais les scientifiques commençaient tout juste à chercher un vaccin. Lors de la Seconde Guerre des Boers (Afrique du Sud, 1899 - 1902) il a été testé à grande échelle sur le champ de bataille, avec succès. Le pourcentage de personnes infectées dans les rangs britanniques chuta, mais leurs alliés français, qui avaient mis plus longtemps à vacciner leurs troupes, subirent de grosses pertes. 


Bien qu'elles aient aidé au développement de certains traitements, les périodes de guerre n'ont pas résolu tous les problèmes de santé publique. Elles en ont même empêché certains remèdes, concernant des maladies toujours présentes aujourd'hui, comme par exemple la malaria (paludisme). Cette maladie, transmise par une certaine espèce de moustiques, ne sévit pas en Occident mais plutôt dans les pays tropicaux. Le seul traitement relativement efficace était l'ingestion de quinine, fruit d'un arbre qui poussait à grande échelle dans les colonies hollandaises du sud de l'Asie. L'accès à ces colonies était très fortement réglementé et a empêché l’approvisionnement en quinine. Les Allemands ont donc été forcés de synthétiser un produit égalant les propriétés de la quinine, ce qui a pris du temps. Le bilan est cependant positif car la synthèse de ce produit est un réel progrès, qui aurait peut-être échoué sans la pénurie de quinine.


Enfin, le professeur Shanks a découvert quelques épisodes plus sombres dans le traitement des maladies pendant la guerre : un vaccin contre le tétanos testé sur seulement la moitié d'un groupe de prisonniers de guerre qui s'est révélé efficace, ou encore le traitement des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST). En effet, le traitement préconisé pour ce type d'infections est le confinement, ce qui a paralysé une bonne partie de l'armée américaine à une certaine période ; ou des pratiques si épouvantables qu'une bonne partie des malades préférait souffrir en silence plutôt que déclarer leur maladie (injections d'arsenic et/ou de mercure pour la syphilis, irrigation de l'urètre au permanganate de potassium pour la gonorrhée...)


Malgré tout, le professeur Shanks conclut sur le respect qu'impose le travail réalisé par les médecins de la Première Guerre Mondiale, dans un contexte difficile et avec peu de ressources exceptée leur capacité à penser.




Sources :


http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2814%2961786-4/fulltext

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